Qu’est-ce qui nous empêche d’évoluer de façon plus satisfaisante et plus digne?
Peut-être la peur.
Si tel est le cas, de quoi sommes-nous le plus effrayé(e)s?
Peut-être avons-nous peur de l’événement qui sera la fin de notre expérience terrestre, la fin de notre expérience de perception, la mort.
Quand nous mourons, qu’arrive-t-il? Est-ce que quiconque aura un jour une réponse définitive à cette fameuse question?
J’ai envie de répondre: oui.
J’ai été témoin de plusieurs centaines de morts. Pas en tant que secouriste, urgentologue ou soldat. Je fais plutôt référence à la mort de l’ego. Le concept nous paraîtra parfois remâché; il est vrai qu’il a été récupéré à toutes les sauces, et que nous en sommes venu à le considérer presque comme un cliché. Mais il n’est pas question ici de ces petites morts de l’ego que nous expérimentons sur le chemin vers nous-même; celles-ci sont en effet toujours partielles, ou relatives. Je parle plutôt d’une expérience directe et complète, je parle d’une molécule très particulière qui a le pouvoir d’aider notre ego à mourir, mais cette fois totalement.
De quoi nous libérons-nous quand nous mourrons? Qu’est-ce qui meurt? Qui meurt?
Dans la mort, quelque chose cède. Quelque chose est libéré. Qu’est-ce que c’est? Et bien, entre autres choses, toutes ces peurs qui constituent une grande partie de notre identité — consciente ou inconsciente. Toutes ces barrières qui ont été mises en place pour nous protéger de l’inconfort, du malaise, ou pour nous retenir, nous empêcher… d’évoluer.
Et si nous pouvions, en toute intentionnalité, se libérer momentanément de cette structure érigée par l’ego? Même si c’est pour y revenir ensuite.
Mais revenir d’où?
Nous avons peut-être entendu des histoires d’expériences de mort imminente. Nous avons peut-être accédé à l’extase, à la félicité, à la joie transcendante. Tout cela est difficile à mettre en mots. C’est en fait impossible à mettre en mots, parce qu’il s’agit d’expériences intraduisibles, incommunicables.
Mais nous pouvons tenter de qualifier cet état, cette aise — une aise réelle — cette grâce tranquille de l’être, cette essence sauvage, cette innocence qui existe par-delà tout programme. Nous pouvons parler d’une amnésie qui se dissout pour laisser place à la réminiscence de ce que nous sommes, de ce que nous avons toujours été. Toutes les parties de nous-même que nous croyions perdues, et dont l’absence créait en nous cette douloureuse impression d’être brisé(e), désuni(e), partiel(le), à la dérive, se rassemblent pour reformer notre être en ses qualités originelles: compassion, joie, présence aimante, pardon, curiosité, empathie, gratitude, grâce…
Lors d’une expérience de libération complète avec la molécule divine, la mort — l’expérience directe de tout ce qui est — révèle ces qualités de telle façon que nous pouvons faire tomber les conditionnements, déprogrammer le soi. Mourir dans le Tout, dans l’Un. Une occasion de s’y exercer…
Mais est-ce que le simple fait d’inhaler cette molécule est suffisant pour intégrer ces qualités? Non. Par contre, alors que nous sommes libéré(e) de notre existence fragmentée, elles nous sont révélées.
Cette vie terrestre est parfois agitée, domestiquée ou engourdie par un monde qui nous sépare les uns des autres autant qu’il nous sépare de nous-même. Dans ces circonstances, une expérience directe de l’unité nous fera sans doute l’effet d’un antidote. C’est là que la molécule divine révèle toute la puissance de son potentiel. Le phénomène est transpersonnel, trans-humain. En réintégrant ensuite nos repères humains, nous réalisons que nous avons la possibilité de choisir consciemment cette expérience humaine et d’accepter son idiosyncrasie, c’est-à-dire les paramètres inhérents qui la composent.
Et quel genre d’être humain voulons-nous être? Pas un être humain qui s’accroche à la vie par peur de la perdre, espérons-le. Plutôt un être humain ouvert à l’idée que la vie est là pour être vécue, et que ceci inclut: être pleinement humain.
Merveilleusement humain.
Sentir toutes les sensations.
Avoir toutes les pensées.
Savourer toutes les expériences que cette vie a à nous offrir. Mais surtout, savourer entièrement l’ici-maintenant, car c’est ici et maintenant que l’expérience d’être un humain se révèle et se déploie.
Le moment présent est éternel. La mort ressemble à cela, je dirais. Intouchée par le temps. Atemporelle. C’est l’ego qui crée le temps. Par le corps, nous pouvons accéder à la présence. L’esprit fabrique du temps sans arrêt. Le corps, quant à lui, est une porte vers le présent. À travers lui, nous y accédons momentanément. Mais dans la conscience infinie, le moment présent foisonne en toute éternité.
Je n’essaie pas ici d’embellir la mort, ou de la rendre glamour. Pas plus que je ne souhaite la rendre profane. Elle est sacrée. Elle est réelle.
Avec tout mon respect, j’entre en lien avec la mort, et cela a pour effet de m’emplir de révérence pour la vie.
Ceci n’est pas une aventure à prendre à la légère.
Ceci nous ouvre à la possibilité d’incarner une liberté de vivre. Laisser tomber les armes et exister dans cette vie sans être miné(e) par la peur de tout perdre. Ramener ici, avec nous, en nous, ces qualités divines auxquelles chacun de nous a accès, et cultiver ces qualités de manière à modeler notre expérience sentie. Parce que c’est ici et maintenant, et avec ce corps, que nous ressentons les choses. Ce corps sauvage et éphémère.
Car nous sommes sur terre.
Je pratique la mort pour inviter le paradis sur la terre.
S’agit-il de l’illumination?
Je ne sais pas mais, à force d’apprendre à mourir, je sens que tout s’illumine!